Azerbaïdjan : les femmes, vraies gagnantes des élections législatives ?
Cet hiver, elles étaient 299 à battre le pavé de la campagne des législatives, qui ont eu lieu le 9 février. Soit près d’un candidat sur quatre. Mais le champ électoral n’est pas le seul où s’exprime la parité entre citoyens de la petite république. L’occasion de faire le point sur la condition féminine, dans ce pays à 95% musulman, qui prône laïcité et diversité culturelle depuis plus de 100 ans.
« Lorsque je suis arrivé pour la première fois en Azerbaïdjan, voilà bientôt dix ans, j’ai été saisi par le contraste avec tous les autres pays de même culture et de mêmes traditions, se souvient l’écrivain Jean-Louis Gouraud en 2019. Pas seulement par le spectacle de la rue à Bakou, la capitale, où l’on voit des femmes libres de leurs mouvements, habillées à leur guise. Mais également par leur place dans tous les secteurs d’activité, et même leur rôle politique aussi bien hier, avec d’éminentes artistes, poétesses ou femmes politiques, qu’aujourd’hui, avec la présence d’une femme au sommet de l’Etat, plus précisément à la vice-présidence de la République, Mehriban Aliyeva ». Des propos qui font écho à ceux de l’Unicef, pour qui l’Azerbaïdjan « s’est distingué par son héritage ancestral dans l’éducation et l’excellence intellectuelle, les femmes tenant un rôle important en tant que poétesses, écrivaines et enseignantes ».
Bakou, la capitale de ce pays de 86 600 kms2 – a toujours été au centre de la cause des femmes dans le monde musulman, comme en témoigne le 1er Congrès des peuples d’Orient en 1920. L’année dernière, l’Azerbaïdjan a donc célébré le centenaire de sa charte politique, appuyée sur le suffrage universel et donc le droit de vote des femmes, un quart de siècle avant les citoyennes françaises. L’Azerbaïdjan était ainsi le premier pays musulman – avant la Turquie – à placer les femmes au cœur de la vie publique. Cette tradition progressiste a été relancée depuis la fin du glacis soviétique au début des années 90. Avec des résultats concrets, jusqu’à l’armée qui s’est féminisée, Natavan Marvatova devenant même – en 2009 – la première femme élevée au grade de major générale, le 3e plus haut rang militaire.
En politique, les femmes de plus en plus présentes
En janvier dernier, la campagne pour les élections législatives anticipées du 9 février a vu 299 candidates battre le pavé sur 1324 candidats, soit 22,58% de femmes. Après décompte des suffrages exprimés, 21 femmes ont été élues, une de plus que dans la chambre sortante – qui comprend 125 sièges –, soit 16,8% des sièges (contre 11% aux élections de 2010). C’est loin devant, par exemple, les assemblées voisines iranienne (5,9%) ou géorgiennes (14,9%) ; et comparable à la Corée du Sud (17,1%) et à la Grèce (18,7%). Ces récentes élections législatives ont été scrutées autant sur la scène intérieure que par des observateurs étrangers, avec certes des réserves émises par l’OCDE, qui constate néanmoins les progrès réalisés dans le processus démocratique: « Je pense que (la présence de systèmes anti-falsification) est une innovation, raconte Joël Guerriau, vice-président de la Commission des Affaires étrangères et de la Défense du Sénat français. J’ai observé les élections en Azerbaïdjan dans vingt bureaux de vote. Le processus de dépouillement s’est généralement déroulé dans un environnement positif. » Même son de cloche du côté de la délégation britannique : selon Nabil Ayad, directeur de l’Académie diplomatique de Londres et responsable d’un groupe d’observateurs, « nous avons senti que tout était bien organisé, ces élections ont fait partie du processus d’édification de la démocratie dans ce pays ».
En Azerbaïdjan, c’est surtout à l’échelon local – au niveau administratif et judiciaire – que l’impact des femmes est le plus significatif. « Ces dernières années, la représentation des femmes dans les municipalités est passée de 4 à 35%, s’est félicitée Hijan Huseynova présidente du Comité d’Etat pour la famille, les droits des femmes et de l’enfant, lors du colloque en juin 2019 à l’Assemblée nationale française sur le droit des femmes en Azerbaïdjan. Aujourd’hui, dans chaque région, le dirigeant exécutif ou son adjoint est une femme. Le nombre de vice-ministres femmes est passé de trois à cinq. Et la part des magistrates est passée de 13 à 15%. » Ces dernières années, de nombreux postes de la haute fonction publique ont été attribués à des femmes, au sein de la Cour constitutionnelle, de la Commission électorale centrale, de plusieurs ministères et de comités à vocation sociale.
Une plus grande représentativité des femmes est même inscrite dans la loi depuis 2006, comme le souligne Sahiba Gafarova, députée d’Azerbaïdjan et membre de la commission sur l’égalité et la non-discrimination de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe : « L’objectif premier de ce texte est de garantir l’égalité des chances entre hommes et femmes dans les milieux politiques, économiques, sociaux, culturels et dans tous les domaines de la vie publique, ainsi que l’élimination de toute forme de discrimination fondée sur le genre. » Et l’égalité des chances – en Occident comme en Orient – commence par les bancs de l’école.
L’éducation, un pilier en plein développement
En vingt ans, l’Azerbaïdjan a fait un grand bond en avant en termes de scolarisation des jeunes filles. Dans le secondaire, 94,54% des adolescentes sont scolarisées selon les statistiques de l’Unesco. Si l’accès aux études supérieures est encore limité (29,69%), il est en forte progression depuis dix ans. Cela s’explique en premier lieu par la structure sociétale du pays, 70% des femmes en âge de travailler exercent dans le monde rural. « Le secteur agricole en Azerbaïdjan est l’un des secteurs majeurs de l’économie, il concerne environ 40% de la population », souligne Leuli Aghayeva, directrice du département Programmes et Projets de l’Agence de crédit et de développement.
C’est aussi pour favoriser l’accès des jeunes Azerbaïdjanaises aux études supérieures qu’a été créée, en 2014, l’Université franco-azerbaïdjanaise (UFAZ). Ce partenariat réunit depuis trois universités : l’Azerbaijan State Oil And Industry University (ASOIU), l’Université de Rennes 1 et l’Université de Strasbourg. Selon Charlotte Payen, la secrétaire générale de l’UFAZ, les femmes représentent 29,7% des 411 étudiants, 48% du staff administratif et 50% du corps enseignant scientifique azerbaïdjanais. « Nous sommes assez fiers de notre pourcentage d’étudiantes, qui est supérieur à celui dans les mêmes filières des universités françaises, souligne la responsable. Sur les quinze meilleurs étudiants de l’UFAZ, sept sont des filles, dont deux majors de promotion en première et en troisième années. Les étudiantes sont donc moins nombreuses que les étudiants, mais leurs résultats sont proportionnellement meilleurs ! » La création de cette université répond aussi à un besoin de qualité dans l’enseignement supérieur azerbaïdjanais. À la prestigieuse université ADA, le vice-recteur Fariz Ismailzade va dans le même sens : « L’économie du pays est pleine en croissance et nous avons besoin de jeunes actifs, bien formés. » Selon lui, le renouvellement politique est aussi « une opportunité pour ceux qui ont été formés à l’étranger de s’engager dans la vie publique de leur pays ». Et en premier lieu, les jeunes femmes.
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